Alliage | n°60 - Juin 2007 Que prouve la science-fiction ? |  II. Science fiction et politique : le prisme des utopies 

Emmanuel Barot  : 

Comment le cyborg devint le noir de la science-fiction

Sur la force politiquement probatoire de l’utopie
p. 123-135

Plan

Texte intégral

« Au sens strict, l’utopie n’est pas un genre de plein droit,
mais plutôt le sous-genre socio-politique de la science-fiction. »1
Darko Suvin, 1979

1Même dans son orientation hard-science, la science-fiction comme genre narratif ne saurait être inféodée aux réquisits logico-mathématiques ou expérimentaux sont aux praxis scientifiques de tous ordres : s’interroger sur ce qu’elle peut prouver, sera pour moi examiner les effets stratégiques de connaissance ou d’intelligibilité externes qu’elle peut induire dans la conduite de ses propres tactiques d’écriture.

2Cet examen portera, au centre, non sur le thème classique (jusqu’à P. K. Dick inclus) de la frontière de l’humain et du non-humain, mais, dira-t-on, sur celui, néo-classique, de l’expérience de l’hybride, du mixte, entre mutant et sur-synthèse mécanique-organique, à l’image du cyborg, étrange quasi-soi qui est justement pour cela un nouvel Autre. L’orientation en sera historico-politique au sens suivant : quel sens de l’histoire, même éminemment paradoxal, la science-fiction peut-elle véhiculer ou prendre à sa charge, attendu, dans l’esprit de Suvin, que ce sera sous la dimension de l’efficace politique que je questionnerai la pratique spécifique de cette science-fiction ? Je conduirai cette interrogation en partant du rapport entre élucidation scientifique et prospection utopique tel qu’il a pu polariser le regard porté, dans certaine tradition marxiste, sur la possibilité historique toujours d’inactualité de l’événement révolutionnaire.2

La science-fiction face au politique révolutionnaire

3Slavoj Zizek le rappelle dans ses récents ouvrages, Sartre a, au fond, essayé de le fonder dans la Critique de la raison dialectique et ses Situations, reconduisant peu ou prou les intuitions courant de Machiavel à Gramsci, le passage au politique et au politique révolutionnairepar excellence, avec son irréductible violence, n’est pas déductible d’une position théorique quelle que soit sa forme (ni scientifique, ni utopiste). Il nous met au seuil d’un événement produisant en retour un sens collectif des déterminations socio-historiques, utopiques et idéologiques, qui l’ont rendu possible. L’événement d’un tel « passage à l’acte » exige d’être appréhendé à la fois sous l’angle de ses conditions concrètes et du désir de ce qui n’est pas encore qu’il véhicule intrinsèquement. C’est au sujet de ce désir d’une alter-réalité que s’enchâsse la présente réflexion sur la nature et la fonction de l’utopie, et en priorité, l’utopie telle que peut la reconduire la science-fiction contemporaine.

4Prenant alors acte de la tension entre science et utopie, à la fois inaugurale et aux multiples destins, dumarxisme, c'est-à-dire en prenant acte de l’ambiguïté destinale du marxisme même, je me demanderai si l’utopie de science-fiction ne serait pas à même, par sa logique propre, de faire résonner/raisonnercette capacité de l’événement d’ainsi faire sens, et de présenter sur son mode figuratif et non-réel ce jeu entre lui et la situation qu’il réfracte en la niant : ce qui serait son acte probatoire,voire — disons-le avec prudence, c'est-à-dire en élargissant l’extension du concept — son effet démonstratif ?

L’imaginaire utopique entre idéalisme et contre-idéologie

5Préfiguration imaginaire d’un état social non encore advenu, d’un not-yet-now, oscillant entre simple miroir grossissant de traits du réel ou authentique fiction instaurant un alter-monde completmuni de ses lois naturelles propres, progressiste (en comparaison du monde réel) ou réactionnaire, sous forme alors dystopique (pour montrer la dangerosité potentielle d’un réel qui n’est pas encore arrivé au stade ultime de la catastrophe), l’utopie, dans toute l’épopée marxiste, a été l’objet de deux regards différents.

L’idéalisme utopique

6Le premier regard porté sur l’utopie par le marxisme, historiquement le plus prégnant, est le plus critique et le plus distant. Les socialismes utopiques auxquels Marx et Engels se confrontent,3 en résumé, sont des équivalents de romans populaires correspondant à une conscience peu développée des prolétaires, ou dit autrement, la littérature socialiste utopique est une forme théorique immature exprimant l’état d’immaturité du développement du prolétariat et des forces productives. Indépendamment de son contenu critique, cet utopisme est pratiqué sur un mode bourgeois et idéaliste, spéculatif : il pense du point de vue de l’humanité, sur le fond d’une universalité proclamée, mais factice, puisqu’elle méconnaît son ancrage dans la particularité prolétarienne et ses déterminations historiques.4

7Cette facture bourgeoise s’est traduite, par exemple, par des appels à l’État (pour combler les carences sociales), voir carrément à la philanthropie privée, donc par des postures politiques profondément inadéquates du point de vue de l’antagonisme de classes.5 En bref, nous dit Engels,

« pour faire de l’utopisme une science, il fallait avant tout le placer sur un terrain réel »,6 

8ce que le marxisme représente pour le socialisme, c’est ainsi la transformation de l’utopie en science théorico-pratique, le dépassement d’un stade pré-révolutionnaire, idoine à un état daté des contradictions du capitalisme de la pensée progressiste. D’où cette position centrale : le communisme, pensé en creux par le socialisme scientifique, n’est que le mouvement réel, c'est-à-dire le capitalisme dans ses contradictions actuelles, qui sécrète au jour le jourles conditions de son dépassement, « mouvement réel qui abolit l’état de chose actuel » (Idéologie allemande) : toute situation sociale étant un produit de l’histoire et donc d’un certain état de cette lutte de classes, il est impossible et même illégitime d’en prévoir précisément un état futur.

9Par là, le principe historico-scientifique au cœur du marxisme s’oppose littéralement à la démarche utopique, socialiste ou non, puisqu’elle prétend s’affranchir conceptuellement de la contrainte socio-historique et du problème des conditions matérielles de la transition. On peut en ce sens jouer l’utopie contre le marxisme et réciproquement, au motif qu’elles ne sont pas du même côté de la « coupure épistémologique »,7 et renvoyer dos-à-dos utopistes et petits-bourgeois.

La portée révolutionnaire de l’utopie

10Or c’est contre cette fin de non-retour que C. Mieville, dans l’introduction au symposium « Marxisme and Fantasy »,8 qui s’est tenu en Angleterre en 2002, a pris position et essayé de  lutter, afin de montrer le caractère révolutionnaire que peuvent revêtir les utopies de la science-fiction d’un point de vue marxiste même,9

« L’utopisme est une ordination du fantastique aux visées socialement polémiques, potentiellement transformatrices, et en tant que tel, est d’un grand intérêt pour les marxistes.  Pour autant, cet intérêt ne doit pas se traduire aux dépens du mode spécifique dont il est l’articulation : le fantastique lui-même. »10

11Je passe ici sur le prophétisme révolutionnaire bien connu dans l’histoire qui a diversement irrigué la lutte pour l’Homme nouveau, cet utopisme du mouvement communiste a été suffisamment étudié, qui renvoie à la dimension eschatologique et téléologique d’un marxisme déterministe qui n’est plus d’actualité.

12Ce qui m’importe présentement, c’est plus précisément que l’analyse de Marx et d’Engels, en contre-point de leur approche globalement négative, a néanmoins et en effet valorisé la portée critique et révolutionnaire du socialisme utopique, et rappelé qu’il constituait une force de contre-propositions permanente et bénéfique, notamment en ce qu’il prônait l’égalité socialeet pas seulement politique. C’est cet aspect que K. Manheim et surtout E. Bloch ont reconduit au xxe siècle : l’utopie est l’élément contre-idéologique que les dominés et exploités lancent contre l’idéologie dominante, ou, dit avec l’expression de Bloch, qui investit et nourrit un principe Espérance pleinement compatible avec le marxisme, théorique comme historique, en tant que celui-ci est une pensée du nouveau. De ce point de vue, l’articulation de l’exigence scientifique et géopolitique, liée au socialisme scientifiqueet à la production d’utopies est un objectif tactique légitime : les utopies, avec leur « dialectique explosive » (Bloch), peuvent compenser le nécessaire retard de la théorie scientifique sur le réel et l’action.En résumé, le moment théorique, arme centrale de la lutte, n’est mené que parce qu’il y a par principe présupposition qu’un autre monde est possible, n’existe que sur le fond d’un tel principe Espérance.

Remarques sur l’hégémonie et l’idéologie

13Dans la mesure où l’idéologie est un dispositif culturalo-conceptuel, historique stabilisé, qui, allié à un certain usage (et un usage certain) de la force, qu’il s’emploie à justifier a priori comme a posteriori, rend possible l’hégémonie, au sens de Gramsci,d’une classe (ou d’une fraction de classe) dominante, toute offensive utopique contre cette idéologie sert la lutte contre l’hégémonie du capital.

14Un élément-clé ici, c’est que cette offensive consiste à tenter d’instaurer un nouveau régime de formulation et de légitimation des problèmes, c'est-à-dire d’imposer une nouvelle façon de penser et de poser les problèmes, et par là d’esquisser ou exposer les modes possibles de leurs résolutions. Or l’hégémonie et l’idéologie, évidemment constitutives de la conflictuelle structure de classes d’une situation historique donnée, sont irréductibles à une prise de position théorique : l’idéologie, pour l’essentiel, n’est pas une pensée, mais au contraire, pétrification de penséeancrée dans les couches les plus profondes et non réflexives des pratiques quotidiennes. Lutter contre l’idéologie ne peut donc se résoudre à une question gnoséologique, à une question rationnelle ou discursive : le propre de l’idéologie, c’est de durer et résister malgré les déconstructions rationnelles et scientifiquesqu’on peut en opérer, parce qu’elle est infiltration progressive dans les trames abstraites de la pensée autant que les pratiques concrètes du quotidien. Dire qu’elle est pétrification, c’est dire qu’elle est non-pensée ; mais comme phénomène social et historique, procès syncrétique d’éléments progressistes et d’éléments réactionnaires, dont le tour de force consiste à s’universaliser,11 elle est tout saufpétrifiée, et l’on perd grandement à l’enserrer dans des catégories monolithiques. Bref, l’analyse scientifique du capitalisme contemporain est certes censée mettre à distance à la fois cette idéologie capitaliste et l’utopie extra-scientifique, mais appelle néanmoins cette dernière comme son complément tactique et stratégique, du point de vue de l’impact visé sur les individus.

15Je me limiterai maintenant à une interrogation générale que la question suivante, dans son approximation, formulera adéquatement pour l’instant : Y a-t-il ou peut-il y avoir des utopies de facture marxiste, à la fois, dans leur contenu et leur modes d’élaborations propres, et en quel sens cette interrogation doit-elle être comprise ?

De l’efficace des alter-alien-alibi-mondes12

16Reprenant le slogan « anti-anti-communiste » de Sartre lors de la période stalinienne, en l’associant à la grande thèse de Suvin rappelée en exergue du présent texte, Jameson, dans son récent Archaeologies of the Future,13 voit dans une partie de la science-fiction contemporaine ce qu'il appelle « l'anti-anti-utopie »: non pas le simple retour à un utopisme de style pré-marxiste, ni évidemment une répétition de l’anti-utopisme pluriel qui va du marxisme scientiste au post-modernisme de la fin des grands récits. Cet « anti-anti-utopisme » traduit la reconnaissance des ambiguïtés structurelles du genre utopique, dont la prégnance de composantes idéologiques, mais n’en défend pas moins, en pleine lucidité, la portée possiblement révolutionnaire. Jameson semble parfois penser que le moment utopique peut faire sortir de cette constance de l’idéologie,14 mais c’est peu probable. Indépendamment de cela, il maintient le potentiel révolutionnaire de l’expression utopique. Ce qu’il convient de retenir alors, c’est que si la présence du registre idéologique dans l’utopie est irréductible, cela ne l’empêche pas d’être éminemment féconde. Cela reconduit la thèse de Manheim à nouveaux frais, mais surtout, montre que le problème de l’idéologie excède par nature la question de l’utopie, et renvoie aux difficultés intrinsèques de toute contre-hégémonie à visée révolutionnaire. Concentrons-nous maintenant sur les modes structurels par lesquels l’utopie, construisant un certain style de vraisemblance à partir de la reconfiguration ou re-structuration spécifique du refus et du désir à partir desquels elle fait sens, peut affiner sa puissance historique au service de l’événement révolutionnaire.

La fantasmagorie du réel capitaliste : du désir contre le désert

17Le fantastique de la science-fiction, et le cyberpunk en particulier, traite certes spécifiquement de la subjectivité telle qu’elle est formatée par le fétichisme quotidiennement vécu du capitalisme. Mais il y a toujours, plus généralement, des relations entres rêves et cauchemars et la vie, quels que soient l’objet et la forme textuelle que peuvent après coup revêtir les premiers. On peut traiter ces relations de deux points de vue : le rêve peut être extrapolé à partir d’aujourd’hui vers un not-yet-now possible, ou a contrario, on peut réinscrire le rêve dans le now, mais dans les deux cas,

« les deux approches considèrent les constructions fantastiques comme politiquement viables, dans l’exacte mesure où elles s’élaborent en fonction du futur ».15

18E. Mandel, à l’instar de Bloch, estime que « l’espoir, l’anticipation », donc d’un désir de plus et mieux être, sont des catégoriesdu marxisme. En tant que formes d’existence, ces catégories, qui se prolongent en celles du possible comme de l’impossible, font partie du réel, du moment que l’on se réfère à eux pour l’accepter ou le refuser. Cette « pervasive reality of the unreal »16 nous met, en miroir, dans la posture permettant de saisir le caractère fantasmagorique du réel capitaliste, « désert du réel »,17 ou plutôt désert de réel, et donc d’appréhender l’antinomie entre les deux également réels désert de réel et désir de et du réel.

19La question n’est pas seulement de stimuler ce désir et son imaginaire au-delà des formats standardisés de l’évasion grand public (dont Adorno et Horkheimer, ou encore Richard Hoggart,18 nous ont depuis longtemps montré l’efficace aliénante) ou des modèles de réussite sociale et d’accomplissement personnel factices ou pré-mâchés. L’enjeu est surtout de faire activement comprendre que le réel le plus profond du capitaliste est avant tout pur fantasme négateur de la vie, fétichisme de la richesse accumulée de plus en plus virtuellement, à l’image même du réalisme qu’il professe et qui est pure abstraction à l’égard de ce que peut être cette vie, et simultanément abstraction réelledans son pouvoir de destruction. L’exubérance contrôlée du fictif est un répondant à ce réel désertique au nom du désir de réel : ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui, sous le label quasi onirique de l’injonction aux altermondes, se développe, en un symptomatique regain, la production utopique.

Matérialisme et sens de l’histoire

20Toute utopie, qu’elle relève de la fantasy ou de la science-fiction proprement dite, trahit la présence de schémas idéologiques, de croyances, qui sont, on l’a vu, autant de symptômes suggestifs. Mais cette présence est graduée, non homogène, et peut être un tant soit peu minimisée. La première, traditionnellement incarnée dans des cadres médiévaux, entre paladins, dragons, magie et sorcellerie, véhicule une mythologie assez essentialiste du Bien et du Mal. La science-fiction, elle, plus historiciste et bien moins magique,19 inclut une dimension temporelle propre à la modernité, au-delà même de ses objets centraux, et s’interroge toujours, sans une telle mythologie, sur les contre-finalités inscrites dans la puissance toujours renouvelée et accrue de la technique humaine. Si les dragons d’un côté, les bioports et vaisseaux spatiaux de l’autre, jouent des fonctions comparables au regard du ressort romanesque(être les agents de stratégies visant la résolution d’une énigme ou le salut d’une communauté ou d’un mode de vie, ou la survie d’une communauté d’êtres), d’un point de vue plus large, la trace historique, propre à la science-fiction ou à la fantasy revue et corrigée au sens historiciste-matérialiste de la première, permet l’adoption d’un dispositif narratif apte à traduire sur un mode spécifique le nouveau « bloc historique » produit par l’association actuelle des traits émergents du « troisième âge du capitalisme » (E. Mandel) à ses tendances lourdes, c'est-à-dire caractéristiques depuis la révolution industrielle. Jameson le dit ainsi : une telle materialist fantasy saurait ainsi

« enregistrer les changements systémiques, et relier les symptômes superstructurels aux modifications et hiatus infrastructurels qui les sous-tendent.  C’est également la présence informante de cette histoire des profondeurs qui est seule capable de [recomposer]… les superstitions éthiques du bien et du mal en phénomènes sociaux concrets adéquatement plus horrifiantes que les vieilles abstractions. »20

21Ce n’est donc pas tant le contenu du fantastique, de l’utopique ou du fictif qui importe, que leur mode opératoire, à savoir, leur construction de totalités cohérentes qui, quoique non-actuelles voire impossibles, cependant « miment avecvraisemblance et son langage l’absurdité de la modernité capitaliste »,21 et donc, au cœur de celle-ci, la contradiction de cette dernière entre désert (réel) de notre réel et désir (réel) d’un autreréel. Autrement dit et en précisant, la question qui advient maintenant est la suivante : comment construit-on la vraisemblance narrativeducontenu(quel qu’il soit), sur la base de cette similitude résonante, au niveau fonctionnel, entre l’utopie et notre réel ? L’analyse de la structure de l’idéologie nous donne justement une piste.

22Pour jouer sa fonction légitimante, elle doit à la fois être suturée aux intérêts d’une classe particulière, et « métaphoriser » (Zizek) ces intérêts en un Bien commun au-dessus de la mêlée : les idées dominantes, si elles sont les idées de la classe dominante, ne le sont jamais directement. Ce qui fait leur efficacité c’est ce caractère médiat, cette métaphorisation, c'est-à-dire l’existence d’un ensemble de schèmes réorganisateurs qui, comme « médiateurs évanouissants »22 (typiquement, dans les démocraties bourgeoises, les idées de liberté, d’égalité, etc., éminemment universelles, mais bien formelles dans l’asymétrie réelle qui leur est associée au niveau de leurs conditions d’exercice), universalisent l’air de rien le particulier, dans et par l’hybridation de motifs autant progressistes que réactionnaires. D’une part, c’est en propre la détermination de ces schèmes qui est au cœur de l’entreprise contre-hégémonique des exploités. Comme l’a efficacement rappelé Sartre,

« Les classes exploitées, en effet, n’ont pas besoin d’une idéologie, mais de la vérité pratique sur la société. C'est-à-dire, elles n’ont que faire d’une représentation mythique d’elle-même… il leur faut la possession de leur vérité pratique, cela signifie qu’elles exigent de se saisir à la fois dans leur particularité historique… et dans leur lutte pour l’universalisation… Le rapport dialectique de l’une à l’autre exigence, c’est ce qu’on nomme la conscience de classe»23

23Si donc une contre-idéologie de type doctrinal ou scientifique tient son pouvoir structurel de conviction d’une telle métaphorisation, mon idée est ici que la vraisemblance de l’utopie tient au niveau « méta-structurel » de la mise en scène decette métaphorisation mêmedans le nouveau réel qu’elle figure. Cet élément est tout à fait essentiel : la forme est toujours, a expliqué Hegel dans la Science de la logique, la forme d’un certain contenu. Observons donc deux angles sous lesquels l’écriture utopique pourrait élaborer cette dialectique forme-contenu, et faire jouercette métaphorisation même.

L’« anti-anti-utopie » et l’inspiration anthropologique

24Du point de vue de la configuration dans laquelle peut advenir l’événément révolutionnaire, l’utopie peut produire des quasi-mondes dans lesquels, analogiquement par rapport à cette configuration réelle, sont lisibles d’autres rationalités collectives. La posture anthropologique peut servir de guide ici à deux titres, puisqu’elle offre un moyen de penser à neuf la production de cette exigence classique de la vraie littérature : l’effet de vérité sur le réel induit par l’effet devraisemblance du non-réel.

L’écriture vraisemblable de rationalités autres

25L’utopie peut opérer comme une anthropologie des rationalités possibles, situées (au sens sartrien) dans des mondes alternatifs pétris d’une historicité reconnue. Ces rationalités peuvent tirer certains de leurs traits de communautés humaines singulières étudiées par les anthropologues (par exemple, le travail non utilitaire des Trobriands décrit par Malinovski), et plus généralement d’expériences alternatives (économies solidaires, etc.) ou des luttes existantes (voir The Take, de 2005, de Naomi Klein, sous-titré « Occuper, Résister, Produire », qui relate la récupération sur le mode de l’auto-gestion démocratique, suite à la faillite de leur pays, de nombreuses usines par les ouvriers argentins en 2001).

26L’idée est de faire jouer ces traits en fécondant l’outil de la fiction philosophique qu’est l’état (abstrait) de nature, pour en tirer, en bref, celui du monde (alternatif) deculture. La force anti-idéologique, l’effet de conviction de l’utopie produite, autrement dit, sa stimulante vraisemblance,pour se conquérir, entre autres artifices, par l’application des méthodes socio-anthropologiques combinant approches structurale et quantitative d’un côté, compréhensive et qualitative de l’autre, sur les relations inter-êtres des altermondes imaginés. D’une certaine façon, c’est la puissance de toute la littérature qui est ici rappelée. La théorie littéraire, dans et depuis le classement aristotélicien, dans la Poétique,des genres de mimésis par son objet et par ses modes, a insisté de façon variée sur le fait que cette mimésis permet, grâce à sa vraisemblance et dans les tragédies avant tout, la catharsis des spectateurs, et donc une transformation des moyens et des buts de l’action socialisée. Ce n’est certes par la terreur (et encore !) ou la pitié qu’il importe aujourd’hui de susciter, mais plutôt l’appropriation praxique et différentielle de la vraisemblance produite grâce au suivi méthodiquement serré des conditionnements et effets psycho-sociologiques des relations entre les êtres de chair textuelle : c’est en cela que l’écriture d’alterrationalités est adéquate pour produire une vérité dynamique sur notre existence à nous.

La double dialectique de l’identité et de la différence

27Jameson y insiste à juste titre, le propre de l’utopie politiquement signifiante, et notamment de l’utopie de science-fiction, c’est de pouvoir concrétiser une dialectique de la différence et de l’identité,24 opposée, justement, à l’hypostase post-moderne de la « différence », et assurant d’autant plus par cela son effet de vérité. Cette dialectique est, d’une part, celle déjà évoquée entre la permanence du même, les tendances lourdes, structurelles, du capitalisme, et de l’autre, les tendances émergentes de son troisième âge. Ce à quoi pense Jameson, c’est d’abord à la logique anthropologique de la séparation (de soi avec soi) et de l’hybridation (de soi avec d’autres) qui affecte aujourd’hui tout un chacun, récursivement cause et effet de la logique économique accroissant l’antagonisme des classes et des conditions matérielles des populations consubstantielle par l’homogénéisation mondiale des non-règlesdu Capital.

28Mais outre ce procès d’universalisation et de différenciation d’une même totalité, on peut lire cette dialectique d’un autre point de vue. L’anthropologie est traditionnellement le discours de soi sur l’Autre, cet Autre n’étant qu’un autre soi. Le propre de l’utopie science-fictionnelle est de reconduire massivement cette posture de l’anthropologie, puisqu’elle elle est méditationillustrée, réaliste(au sens du vraisemblable non-réel), de la rencontre de l’humain avec son Autre, extra, non ou post-terrestre, hybride mécanique-organique, vivant possédant morphologie et physiologie complètement différentes, etc. L’un des mérites féconds de Kant de ce point de vue-à, c’est son anti-humanisme dans le champ de la métaphysique des mœurs : les maximes morales sont pour lui censées valoir pour tout être raisonnable. Il suffit d’orienter cet anti-humanisme en un extra-humanisme pour relier conceptuellement en pleine nécessitécette rencontre de l’alien à l’interrogation sur les rationalités collectives possibles. Rien ne dit que la rationalité des aliens doive être la même ou commensurable avec celle des humains, mais c’est justement cette possible incommensurabilité qui fait aussitôt sens au regard des chocs entre cultures, du racisme, des dénis d’humanité, j’en passe, dont est jalonnée l’histoire humaine. D’autant plus qu’aujourd’hui l’autre humainest de moins en moins notre Autre, du fait de l’hybridation anthropologique généralisée induite par la globalisation capitaliste : c’est bien le cyborg ou l’alien qui commence à concentrer les interrogations sur notre identité d’humain.

29Une sorte de phénoménologie des vies artificielles autres ou non-humaines, même si elles ne sont que fictives, au titre d’une « hybridologie » (comme on parle d’anthropologie), nourrit activement la construction dialectique des identités respectives, personnelles et collectives, en créant utopiquement leur rencontre : et c’est ce que font traditionnellement fantasy et science-fiction, et qui peut être infléchi selon l’angle décrit par Jameson.25 Ce qui est d’autant plus aisément faisable en suivant la piste du philosophe américain Andy Clark,26 selon lequel nous, humains, sommes toujours déjà naturellement des cyborgs, des êtres ayant, par la singulière évolution de notre espèce, un rapport naturellementtechnique/technologique au monde et à soi, d’appropriation et de constitution au niveau de notre identité. On peut fictivement se demander, à la façon dont le fit naguère Thomas Nagel dans « ce que ça fait d’être une chauve-souris », ce que çafait d’être un cyborg — réactivation de l’interrogation philosophique sur les qualia, c'est-à-dire les aspects qualitatifs du vécu qu’il semble impossible, à l’instar du mal aux dents de Wittgenstein, d’appréhender à moins de le vivre par soi. Mais on peut encore, comme le narrateur de La guerre des mondes, s’interroger, en une psychologie comparée spontanée, sur les conséquences psycho-somatiques et sociales respectives de la présence chez les humains, et de l’absence chez les martiens, d’appareils digestifs. Mais tout cela se trouvait déjà en creux, en 1968, dans le bien-connu Do Androids Dream Of Electric Sheep ? de Dick, qui soulevait la question suivante (que Mary Shelley inaugura d’ailleurs à l’égard de la créature du baron Frankenstein) : les androïdes doivent-ils ou non êtres respectés et protégés, ou sont-ils moins que des chiens, et pourquoi ?

30L’anthropologie et l’histoire nous ont plus qu’il n’en faut raconté les destins du noir colonisé ou du sauvage primitif à civiliser : l’alien ou le cyborg, eux, sont les noirs de la science-fiction.

31Toutes ces approchent convergent, et illustrent, à l’instar de Kant lui-même à la fin de son Anthropologie, le problème d’une rationalité collectivement construite par des êtres de natures éventuellement différentes. Il se pose, par exemple, la question suivante (et en cela, la manie méthodologique des « expériences de pensée » philosophiques à l’anglo-saxonne, à l’image de celle de Nagel, n’a rien inventé) :

« Il pourrait bien se faire qu’il y eût des êtres raisonnables sur d’autres planètes, qui ne pourraient penser qu’à haute voix, c'est-à-dire, dans la veille comme dans le rêve, en société ou tout seuls, ils ne pourraient avoir de pensée qu’ils ne la formulent aussitôt. Dans ces conditions quelles différences y aurait-il entre la conduite réciproque de ces êtres, et celle de l’espèce humaine ? »27

32On pourrait réinscrire alors la rencontre d’essence nécessairement socialed’êtres de nature différente dans une trame narrative, mimant, en son registre et sa facture propres, la dialectique systémique de l’universalisation et de la différenciation socio-économique. Cela donnerait peut-être un surcroît de puissance, dans et par la médiation du fantasme et du rêve, à une écriture utopique produisant du vrai par sa vraisemblance, donc à l’essentiel de ce qu’elle objective en des jeux derôlenon-réels mais pourtant textuellement actifs, et re-configurateurs d’un désir humain en mal de grands soirs.

« There is no Alternative (to Utopia) ! » : le pari révolutionnaire du not-yet-now

33La question finalement n’est pas, n’est évidemment surtout pas, de produire une axiologie des contenus d’une utopie révolutionnaire : cela serait nécessairement propice à la censure de l’écriture et à une répressive colonisation du futur, et contradictoire avec l’évidente inexistence d’une « recette universelle »28 de la création. Ce qui importe est que la formeutopique même, avant d’être institution d’un altermonde de quelconque facture, est une sorte de réponse, résonanceraisonnante, aux interrogations propres d’une période traumatisée de l’histoire.

34De tels alter-alien-alibi-mondes construisent29 un quotidien structuré analogiquement porteur pour nous, c'est-à-dire essentiellementparlant, porteur d’une vérité s’exprimant grâce à leurs apparences, ou plutôt à leursapparaîtres propres. Entendre Erscheinung ici, et s’approprier insitul’adage de Marx selon lequel il n’y aurait pas de science si l’essence et l’apparence coïncidaient : une utopie ne sera pas puissamment suggestive au cœur de l’événement révolutionnaire si elle ne fait pas de cette non-coïncidence le ressort tactique même de son élaboration. Construire et faire vivrede tels mondes, c'est-à-dire reconstruire des énigmes et leur trouver les solutions narratives adéquates, c’est bien ce qui fait la force et la singularité d’un auteur, et ce qui libère l’imagination par rapport à ce présent dont la réalité nous est martelée sans fin. Non seulement, ces mondes stimulent l’imagination au-delà des dystopies ou des romans-catastrophes, des utopies négativesqui nous offrent ce que l’on ne souhaite justement pas, et dont le présent est pourtant gros, mais surtout, ils forcent à imaginer l’imaginationelle-même, à l’ériger en prisme du politique en tant qu’art de l’impossible, pour reprendre la belle formule de Zizek,30 subvertissant le filtrage idéologique même qui est principe d’engendrement des possibles légitimes.

35Si la révolution est l’objectif politique d’un passage à l’acte continué, informé par le scientifique qui déconstruit rationnellement l’armature hégémonique et son filtrage idéologique, et motivé par la perforation utopique qui en fait résonner l’indécence, elle est donc bien aussi, plus en profondeur encore, procès permanent, dont la démocratieest voie, moyen, finalité,, comme l’a rappelé G. Labica,31 et finalement la seule Aufhebung « impossible » au sens ci-dessus, puisque toujours aussi excèspermanentsur le politique constitué, et en devoir de ré-invention sous peine de réification. Mais du point de vue de ce qui en fait concrètement l’événement, il ne faut plus oublier que toute spontanéité est pleinement déterminée, que ce passage à l’acte est essentiellement réactif, et n’opère malgré tout que contre des praxis adverses posées ou connues comme tels. Jameson résume comme suit la situation d’impuissance spécifique nous échoit aujourd’hui :

« On peut éventuellement attendre de la consolidation du marché mondial émergent — car c’est bien cela qui est en jeu dans ce qu’on appelle globalisation — la naissance de nouvelles formes de structuration politique. Dans l’intervalle, pour parodier le fameux slogan de Thatcher, il n’y a pasd’alternative à l’utopie [je souligne], et le capitalisme avancé semble ne plus avoir d’ennemis naturels (les fondamentalismes religieux qui résistent aux impérialismes de l’Ouest ou des É-u n’ayant en rien affiché des positions anti-capitalistes). Toutefois ce n’est pas seulement l’invincible universalité du capitalisme qui est en question… Le plus problématique n’est pas tant la présence d’un ennemi précis que la croyance universelle, non seulement que cette tendance est irréversible, mais surtout que le caractère irréalisable et impossible des alternatives historiques au capitalisme aurait été démontré, et qu’aucun autre système socio-économique ne serait concevable, ni même concrètement disponible. »32

36À ces difficultés s’en ajoutent deux directement liées aux réquisits de la praxis contre-hégémonique. (a) De l’impossibilité affirmée par Sartre d’une subjectivité révolutionnaire de type hyperorganisme, et de façon dérivée, du caractère fantasmatique et illusoire des multitudes constituantes, l’événement révolutionnaire ressort toujours en situation, est toujours pari. Comme passage à l’acte, dont l’origine est l’aliénation vécue intimement, mais qui cherche à durer au-delà de la révolte explosive, ce pari exige une organisation spatiale et temporelle de sa puissance explosive, et par une constante anthropologique par rapport à laquelle nous sommes aujourd’hui encore bien démunis, cette organisation a toujours tendance à se scléroser et se réifier, et à reconduire des formes de domination pourtant initialement combattues. (b) Le capitalisme le plus puissant, et particulièrement prégnant aujourd’hui, est celui qui s’efforce de maintenir le minimum vital — même s’il est bien mince —, de rendre cette aliénation minimalement supportable à chacun, tout en entretenant le hochet des échappatoires individuel et en psychologisant — dépolitisant — systématiquement les souffrances vécues.

37C’est aussi en métaphorisant et en repolitisant la vacuité de ce pseudo-confort minimal que les cosmologies utopiques, en particulier celle d’une certaine science-fiction contemporaine, sont autant d’instruments de questionnement de l’adversaire comme de ses propres tendances à la sclérose, bref autant d’armes aujourd’hui cosmopolitiques.

Notes de bas de page numériques

1 . Metamorphoses of Science Fiction : On the Poetics and History of a Literary Genre, New Haven : Yale University Press 1979, p. 61. Cité par F. Jameson, Archaeologies of the Future. The Desire Called Utopia and Other Science Fictions, London – New York : Verso 2005, p. 393. Le texte de Jameson « Fantasy radicale » du présent volume est une  épure antérieure de cet imposant ouvrage.

2 . Dans mon « Cyberpunk et au-delà : quelle alliance de la science et de l’utopie ? », Critique Communiste n° 177 & 178, octobre 2005 – janvier 2006, j’ai commencé d’étudier les traits essentiels et la fécondité d’abord, certaines limites politico-idéologiques ensuite, du cyberpunk dont les utopies et les dystopies sont les plus affines à la critique contemporaine du capitalisme. Cette étude fut déclenchée par une lecture politico-littéraire de l’œuvre controversée de Maurice G. Dantec (et en particulier son Villa Vortex), objet de mon exposé lors du colloque dont est issu le présent volume. La nature de ce dernier m’a suggéré de choisir un mode d’intervention plus généraliste, d’ailleurs volontairement affine aux contributions de F. Jameson et P. Fitting.

3 . Cf. le troisième des Manuscrits de 1844, qui insiste sur l’égalitarisme (et l’ascétisme) grossiers du communisme « grossier » et « irréfléchi » du socialisme utopique, la seconde partie de l’Idéologie allemande qui pointe, en revanche, ses travestissements idéalistes-allemands, et, bien entendu, Socialisme utopique et socialisme scientifique d’Engels. Voir aussi le recueil K. Marx et F. Engels, Les utopistes, Paris, Maspéro (petite collection Maspéro), 1976.

4 . Les utopistes, op. cit., p. 36.

5 . Cf. la synthèse de cet aspect in Ibid., p. 94-96.

6 . Ibid., p. 50.

7 . Empire de Hardt et Negri comporte des traits à la fois scientifico-descriptifs, et des traits utopisants, mais ne distingue pas ces deux classes de discours qui le constituent : l’un des problème de l’ouvrage, à mon sens, ce n’est pas cette dimension utopique elle-même, mais cette ambiguïté, cette confusion des deux registres. Cf. mon « Cyberpunk et au-delà… », op. cit., où je développe cette analyse.

8 . Cf. Historical Materialism, vol. 10, n° 4, 2002, Marxism and Fantasy, éd. par China Mieville. Voir notamment les textes de C. Mieville « Editorial Introduction », p. 39-49, E. Mandel « Anticipation and Hope as Categories of Historical Materialism », p. 245-259, F. et F. Jameson, « Radical Fantasy », p. 273-280, traduit dans le présent volume sous le titre « Fantasy radicale ».

9 . Darko Suvin, Fredric Jameson, Peter Fitting font partie des critiques contemporains, marxistes ou marxiens, majeurs de la science-fiction.

10 . C. Mieville « Editorial Introduction » p. 47-48. Pour un historique du rapport scindé du marxisme aux utopies de science-fiction, voir Cf. Istvan Csicsery-Ronay Jr, « Marxist theory and science fiction », in Edward James & F. Mendlesohn (éds), The Cambridge Companion to Science Fiction, New York – Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 113-123.

11 . Comme l’analyse Zizek dans son Plaidoyer en faveur de l’intolérance, tr. fr. Castelnau-le-Lez : Climats, 2004, p. 25-30.

12 . Entendre : mondes autres, étrangers et d’ailleurs.

13 . Op. cit., Introduction « Utopia now », p. xvi.

14 . Plaidoyer en faveur de l’intolérance, op. cit., p. 26 sur ce point.

15 . Slavoj Zizek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, op. cit., p. 47.

16 . Ibid., p. 48.

17 . Cf. Slavoj Zizek, Bienvenue dans le désert du réel, 2002, tr. fr. Paris : Flammarion 2005.

18 . La culture du pauvre, 1957, tr. fr. Paris : Minuit 1970.

19 . On peut aussi opposer, comme le fait Darko Suvin, fantasy et science-fiction, et faire relever la première d’un sous-genre de la littérature de mystification, et pas la seconde, ou encore considérer que la première ne présente que de l’irrémédiablement impossible et la seconde seulement de l’actuellement impossible ou irréel. Mais cette question n’est pas l’objet de mon propos ici. Cf. D. Suvin, Metamorphoses of Science Fiction : On the Poetics and History of a Literary Genre, op. cit., et C. Miéville, « Editorial Introduction », op. cit., p. 43-44.

20 . F. Jameson, « Radical Fantasy », op. cit., p. 280.

21 . C. Miéville, « Editorial Introduction », op. cit., p. 42.

22 . S. Zizek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, op. cit., p. 19, 26, 54-55, sur ces « schèmes » et ces « médiateurs évanouissants », expression qu’il reprend à Jameson.

23 . « Plaidoyer pour les intellectuels », 1970, Situations VIII, « Autour de 68 », Paris : Gallimard, 1972, p. 419.

24 . Archaeologies of the Future, op. cit., p. xii.

25 . Voir dans cette orientation l’excellent China Miéville, Perdido Street Station, 2 tomes, tr. fr. Paris, Fleuve Noir, 2003, qui narre le destin de Nouvelle-Crobuzon, métropole gigantesque coiffée par un Parlement totalitaire, errant dans un monde d’hybrides et d’humains soumis à l’impitoyable exploitation du travail en fabriques et en usines — et qui raconte ses utopies propres…

26 . Cf. son Natural-Born Cyborgs, New York-London : Oxford University Press 2003.

27 . Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798, tr. fr, Paris, Vrin, 2002, p. 274.

28 . Je reprends l’expression à Jameson, citée dans Joshua Glenn, « Back to Utopia. Can the antidote of today’s neoliberal triumphalism be found in the pages of far-out science-fiction ? », The Boston Globe, 20 novembre  2005.

29 . Cf., par exemple, Kim Stanley Robinson, Trilogie martienne, tr. fr., Paris, Omnibus, 2006. Cf. Archaeologies of the Future, op. cit., ch. 12, « If I Can Find One Good City I Will Spare The Man : Realism and Utopia in Kim Stanley Robinson’s Mars Trilogy », p. 393 et suiv.

30 . Plaidoyer en faveur de l’intolérance, op. cit., p. 41.

31 . Georges Labica, Démocratie et révolution, Paris, Le Temps des Cerises, 2004.

32 . Archaeologies of the Future, op. cit., « Introduction : Utopia now », p. xiii (je traduis).

Pour citer cet article

Emmanuel Barot, « Comment le cyborg devint le noir de la science-fiction », paru dans Alliage, n°60 - Juin 2007, II. Science fiction et politique : le prisme des utopies, Comment le cyborg devint le noir de la science-fiction, mis en ligne le 01 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3496.


Auteurs

Emmanuel Barot

Maître de conférences, enseigne la logique et la philosophie à l’université Toulouse II-Le Mirail, France. Ses recherches en philosophie des sciences exactes et humaines, notamment sur la question de la construction différenciée de l’objectivité scientifique et du réalisme, et simultanément en philosophie politique, ont comme objet transversal les traditions et les actualités de la dialectique et du matérialisme (Machiavel, Marx et marxismes, Sartre). Il prépare aujourd’hui, entre autres, un livre sur la philosophie mathématique d’Albert Lautman.