Alliage | n°64 - Mars 2009 Du végétal 

Claude Gudin  : 

Lesvégétations sous la langue

de Zeus à Vian en passant par Linné
p. 54-64

Plan

Texte intégral

1Notre langue est si précieuse qu’elle est logée dans un palais bordé d’ivoire, avec des papilles, ces filles de pape.

2Juste en arrière des fosses nasales, caché par la luette et le voile du palais, un massif cellulaire fabrique des anticorps. Son hypertrophie peut provoquer un amas gênant : les « végétations ». Par ailleurs, l’air inhalé passe par un « arbre bronchique » avant d’atteindre les poumons. C’est dire à quel point l’Homo sapiens, de la « Plante des pieds »1 au sommet du crâne, est végétalisé, bien qu’il ait perdu ses chloroplastes, ce qui l’oblige à être un prédateur d’épinards et de carottes.

3« Où allez-vous avec vos tas de carottes ?
Où allez-vous, nom de Dieu.
Avec vos têtes de veaux
Et vos cœurs à l’oseille ?
Où allez-vous, où allez-vous ?
         Nous allons pisser dans les trèfles
         Et cracher dans les sainfoins. » (Robert Desnos)

4C’est dans la « botte à Nick », chère à Dubuffet, que la flore va surgir, avec des noms qui doivent beaucoup à Zeus et à Linné.

Pourquoi Zeus ?

5Le patron de l’Olympe assez souvent faisait régner l’ordre en métamorphosant les humains en végétaux (voir « Les métamorphoses » d’Ovide). C’est ainsi que pour soustraire Daphné aux ardeurs d’Apollon, il la transforme en laurier, inventant du même coup le Baccalauréat à cause des baies du laurier (bacca laurea).

6Il transforme aussi Cyparisius, jeune et beau berger grec séduit par Apollon en cyprès (cupressus) à partir duquel Charles Linné un peu plus tard inaugurera la famille des « cupressées »… Mais il fait savoir prendre son temps.

7Une autre fois pour consoler Aphrodite2 de la perte du bel Adonis venu avec ses lévriers à la chasse au sanglier,3 il crée une fleur rouge sang, évoquant le sanglant chasseur renversé par l’animal, « l’adonis goutte de sang », classée par Linné dans la famille des renonculacées. Le pigment rouge de la fleur est un caroténoïde (de carotte) nommé adonirubine même si le chimiste qui effectue sa chromatographie ne sait pas toujours qu’il manipule le sang d’un chasseur grec.

8On peut multiplier ces exemples à l’infini tant la mythologie gréco-latine est imprégnée de ces végétalisations.

9Il est probable que l’art topiaire (de topiare), qui consiste à tailler les végétaux pour leur donner des formes humaines ou animales, est un juste retour des choses inventé par les jardiniers en réponse à Zeus. Les buis se prêtent particulièrement à ces métamorphoses animales. Buxus sempervirens, dont on a fait des petites boîtes pour enfermer l’aiguille aimantée qui permet de ne pas perdre le Nord… la boussole (de buxolle). La boîte la plus grosse étant un Boxon.

10« A seringapatam
Qu’on batte le tam-tam
Qu’on sonne la trompette
C’est aujourd'hui la fête,
Fête des seringas
Eté des rutabagas
         Honneur aux seringas
         Honte aux rutabagas » (Robert Desnos)

Pourquoi Linné ?

11Charles Linné, « né, nu, phare dans la nuit » en 1707 et mort à Uppsala en 1778, nous éclaire en concevant une classification des plantes (puis des animaux) et en inventant la nomenclature binomiale. Il en a l’idée dès l’âge de vingt-quatre ans et comprend que pour connaître une plante, il faut en prendre de la graine et étudier ses organes génitaux. En 1753, il décrit dans Species plantarum, selon une taxinomie toujours en vigueur, huit cents végétaux.

12Il aura passé trente ans de sa vie sur le sexe végétal, c’est-à-dire la fleur et ses constituants, ce qui lui a valu, en plein xviiie siècle, d’être considéré par ses collègues jaloux comme un « obsédé sexuel ». On croit rêver.

13Bien qu’il soit créationniste et fixiste, la pertinence de son système en fait, un siècle avant Darwin, un précurseur involontaire de l’évolution des êtres vivants. Il donne donc un nom (buxus) pour le genre, un prénom (sempervirens) pour l’espèce, latin ou latinisé, et détermine une cinquantaine de familles sur des bases de critères sexuels déterminés.

14Il crée ainsi une sorte d’esperanto universel, qui permet à tout botaniste, quelle que soit sa langue d’origine, de nommer plantes et animaux. Comme beaucoup de ces noms ont une origine latine ou grecque, ils véhiculent les mythologies dans la science et font de la botanique une inépuisable réserve de poésie qui s’insinue jusque dans la chimie. Ainsi la chanterelle (cantarella), cette cantatrice4 mycologique, donnera son nom à la cantaxanthine, caroténoïde orange de la girolle. Le lycopène, autre caroténoïde jaune, vient du lycopersicon (tomate), sorte de « pomme de loup » pour les lycanthropes et les lycéens, ceux qui passeront leur baccalauréat en souvenir de Daphné, la nymphette d’Apollon. Laurier, en grec, se dit toujours Daphné. Les mythes ont la peau dure.

De Boris Vian à Molière

15Boris Vian tout au long de son œuvre, en bon pataphysicien, se joue de la végétation et de sa nomenclature, parodiant la botanique avec des solutions imaginaires.Ainsi,dans « L’arrache- cœur » où grâce à Clémentine, Angel est le père de trumeaux :

« Dans le jardin laissé à l’état de nature, il y a des calaïos au feuillage bleu-violet  par-dessous, des ormades sauvages aux tiges filiformes, bossuées de nodosités monstrueuses qui s’épanouissent en fleurs sèches comme des meringues de sang, des touffes de rêviole lustrée gris perle, de longues grappes de garillias crémeux accrochés aux basses branches des araucarias, des syrtes, des mayangues bleues, diverses espèces de bécabunga, des haies de cormarin, de cannais, de sensiaires, mille fleurs pétulantes ou modestes. »

16Dans « L’écume des jours »  Chloé a un nénuphar dans les poumons au grand désespoir de Colin, pour l’empêcher de fleurir elle doit vivre en permanence parmi les fleurs, surtout les œillets et les orchidées, un cas d’allélopathie non encore répertorié par les botanistes.

17Même les fusils se mettent à fleurir. Il est vrai que Monsieur l’ingénieur (Boris est centralien) nous rappelle que les canons des fusils poussent vers le bas car ils sont plus lourds que la terre bien qu’ils aient un phototropisme positif.

18Ils ont besoin pour pousser de chaleur humaine, c’est-à-dire celle des hommes, car comme aucun physicien ne peut l’ignorer, la chaleur des femmes, à cause de leur poitrine ronde, empêche une bonne répartition des calories.

19Si, à Paris, vous prenez l’autobus 975 conduit par le machiniste fou n°21-239, vous pourrez explorer les touffes de scrub spinifex, flore dominante du désert d’exopotamie (L’automne à Pékin). Les herbes vertes sont des élymes, ce qui est sans intérêt, fait remarquer l’Abbé.

20« A quoi bon connaître le nom si l’on sait ce qu’est la chose ? »

21L’archéologue précise à l’abbé Petit-Jean que c’est utile pour la conversation.

22Dans L’herbe rouge (est-ce Festuca rubra ?) on trouve au bord du chemin des orties bifides, l’herbe sent bon en souvenir du muguet, il y a des fleurs en chair orange au parfum de fleurs sanglantes, près des violettes de la mort et des asphodèles. C’est Folavril, cousine humaine de la Folle avoine, qui hume ces odeurs végétales.

23La brise caresse les grandes ombelles bleues des cardavoines de mai à l’odeur poivrée. Wolf, avant de retourner dans sa machine à remonter le temps, se sent imprégné par une odeur verte, amère, l’odeur du cœur en feu des reines-marguerites. Il s’y mêle un arôme sucré, le parfum de seringa en été, avec les abeilles. Un ensemble un peu écoeurant.

24Dans la machine, il revoit des lambeaux du temps jadis :

« Des porte-boules dont on fait sécher les fruits rugueux pour obtenir le poil rêche à jeter dans le cou. Il y a des gens qui les nomment platanes. Ce mot ne change rien à leurs propriétés. Il y a aussi les feuilles tropicales barbelées de longs crochets cornés et bruns pareils aux insectes combattants. La mélancolie des marrons luisants que l’on revoyait tomber tous les ans, marrons d’Inde cachés parmi les feuilles jaunes, avec leur bogue molle aux piquants pas sérieux fendue en deux ou trois. »

25Dans L’arrache-cœur, le sentier qui longe la falaise est bordé de calamines en fleurs et de brouillouses un peu passées aux pétales noircis. À gauche, il y a des fougères déjà marquées de roux et des bruyères en fleurs.

26La bruyère de Vian me fait penser à Molière, qui immortalisa la pomme de terre. Cette solanée péruvienne, solanum tuberosum,ramenée à fond de cale en Espagne, offerte aux Italiens qui lui trouvant un goût de « truffe de terre », tartofoli, la donnèrent à déguster à Louis xiv. À cause de la mandragore, de la jusquiame et de la belladone, trois autres solanées,5 la famille avait mauvaise réputation et les courtisans qui refusaient de consommer ce nouveau légume portaient à leur boutonnière une fleur de tartofoli pour ne pas déplaire au Roi-Soleil. Jean-Baptiste Poquelin, qui, dans une nouvelle pièce, fustigeait les courtisans, s’en saisit et nomma sa pièce Tartuffe. Probablement la première œuvre théâtrale basée sur la pomme de terre. C’est ainsi que la végétation s’immisce peu à peu dans l’humanité.

27De même, le duc de Praslin, exilé aux Seychelles qui se prit de passion pour le lodoicea seychellarum un palmier de trente-cinq mètres de hauteur qui donne des noix appelées cocos-fesses. À part cela, Il se faisait envoyer de Provence des sucreries qu’on appelle encore des pralines. L’expression « cucul la praline », qui survit de nos jours, vient de cette conjonction entre l’arbre à fesses et les sucreries.

D’amour et d’eau fraîche

28La nomenclature botanique nous entraîne souvent sur les traces d’Éros. Normal, elle est basée sur le sexe. Ainsi trouve-t-on la délicieuse clitoria arborescens, une papilionacée arbustive aux fruits évocateurs, en souvenir de la princesse des Myrmidons, que Zeus venait séduire déguisé en fourmi.

29Les noms vernaculaires sont parfois plus évocateurs encore : l’echballium est une cucurbitacée méditerranéenne dont le fruit, un petit cornichon poilu, explose sous la caresse lorsqu’il est mûr, en projetant des milliers de graines minuscules : c’est le « pistolet des dames ».

30Le pin, pinus en latin, reste sans doute l’illustration la plus éloquente de cet érotisme végétal. C’était l’arbre culte de Priape, chef de file des conifères, qui sont des arbres phalliques. Dissipons un malentendu, le priapisme n’est pas la maladie qui consiste à planter des pins partout, c’est celle qui permet de se passer de Viagra et soulève tant d’émotions.

31Le côté miraculeux de la végétation, qui permet, grâce à la chlorophylle, de vivre d’amour et d’eau fraîche, n’a pas échappé aux systématiciens. En particulier avec le monde de l’invisible, celui des végétaux microscopiques, qui apparaît de temps à autre sous la forme de « fleurs d’eau », d’efflorescences de blooms, comme les nomment les écophysiologistes. Phénomène qui, depuis la nuit des temps, fut considéré comme un miracle.

32Derrière celui des « pluies sanglantes », se cache une algue microscopique l’haematococcus pluvialis au nom évocateur. Elle entraîne le rougissement des piscines méditerranéennes en été. D’autres microalgues sont responsables de « marées rouges » toxiques pour les coquillages. Les « hosties sanglantes », miracle fréquent des églises humides sont dues à la prolifération intempestive de rhodotorula glutinis, levure rouge avide de gluten. Les « Christ sanglant », quand ils ne sont pas le résultat d’un trucage chimique, proviennent du développement dans les cavités des plaies du porphyridium cruentum (de croix), micro rhodophycée avec laquelle j’ai passé presque vingt ans de mon existence. On la trouve sporadiquement dans les églises bretonnes, et son ensemencement est liturgiquement organisé grâce aux bénitiers et aux signes de croix qui en permettent une dissémination efficace.

33Décrypter le nom d’une plante, c’est souvent retrouver et comprendre ses propriétés. C’est surtout le rouge ou le rose qui domine dans les miracles et c’est peut-être la base de « Rrose Sélavy », de Robert Desnos, Rrose Sélavy, dit le marchand du sel (« Rrose Sélavy » est dédié à Marcel Duchamp).

34Les lagunes sursalées de la Camargue deviennent roses à certaines saisons à cause de la prolifération de dunaliella salina, autre microalgue (baptisée par le botaniste Dunal). Elle est rose en raison de l’accumulation de carotène qui va suivre la chaîne alimentaire et se retrouver dans les plumes des ailes du flamant rose qui, grâce à elle, déclarera sa « flamme en rose » à sa flamante. « Rrose Sélavy »…

35Un jour viendra où les sciences,
À leur tour, seront abordées dans
Cet esprit poétique qui semble
À première vue leur être si contraire. (André Breton)

36S’il est vrai que la botanique est une science molle, on peut quand même estimer que Charles Linné y a injecté une bonne dose de poésie, qui survivra longtemps encore dans le langage scientifique. Encore faut-il apprendre à le décrypter !

37Je laisse à Boris Vian (Bison ravi, Brisavion, Baron Visi) le mot de la fin :

« Tout ce qui n’est ni une couleur, ni un parfum, ni une musique, c’est de l’enfantillage ».

38Ce « grand cœur malade » jazzycoteur a fait le geste de mourir il y a cinquante ans d’une cardiopathie ; il avait trente-neuf ans. Une perle d’aragonite bouchait sa valve aortique, phénomène courant chez les huîtres plus rare chez les humains. En 1959, on ne savait pas encore pratiquer cette chirurgie qui aurait permis au transcendant Satrape de voir le xxie siècle et d’être à nos côtés en l’an 2000 lors de la désoccultation du Collège de pataphysique.

39Textes complémentaires :

Le monde du silence ?

On a toujours considéré le végétal comme muet, par opposition à l’animal, mais est-ce bien raisonnable ? L’arbre n’est-il pas l’instrument à vent primordial selon la structure de sa canopée ? Au point qu’il est possible de planter des forêts7 à musique. Le crotalaria doit son nom (crotale) à sa gousse bruyante qui fait croire à un serpent à sonnette.

L’hura crepitans, une euphorbiacée a des fruits qui font un bruit violent quand ils éclatent et expulsent leurs graines. C’est « l’arbre du diable ». Le cyclanthera explodens a lui aussi un fruit explosif, tout comme la cardamine impatiens, qui est une légumineuse.

La cucubalus baccifer,qu’on trouve dans les Alpes-de-Haute-Provence, est appelé « pétrel » ou encore « pétéréon » à cause du bruit qu’il produit. Le rhinanthe est « l’herbe à la sonnette » et la capsule du colchique est appelée « violon » parce que, desséchée, elle donne si on la secoue un bruit semblable à celui d’un hochet nommé « violon ». Mais la famille musicale par excellence est celle des cucurbitacées.

La gourde, fruit du lagenaria qui servait de bouteille aux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, coupée en deux longitudinalement et munie de crins devient l’ancêtre des sitars et des lyres. Le sitar indien est muni d’une ou deux coques séchées de citrouille comme caisse de résonance. La gourde séchée devient un hochet en raison des nombreuses graines qu’elle contient. Coupée transversalement, elle fournit le bol ou l’assiette selon sa taille, mais aussi la caisse de résonance des balafons à percussion. La gourde munie de anches donne leur flûte aux charmeurs de serpent. De là, à la sonobotanique, un pas est franchi, avec les travaux publiés et brevetés de Joël Steimheimer (ex. Joël Evariste), physicien.

Il observe que les fréquences propres des particules d’une stabilité supérieure au tiers de picoseconde sont toutes accordées sur une même gamme. Il en déduit une sorte de synchronisation universelle. À partir de là, il émet l’hypothèse que lors de l’accrochage des acides aminés sur leur arn de transfert au niveau du ribosome, existait le même phénomène de synchronisation. Il invente alors le mot « protéodies » pour désigner cette sorte de musique de la protéosynthèse et suppose que ces protéodies exercent un contrôle épigénétique de ces synthèses.

Si vous chantez « À la claire fontaine, j’ai trouvé l’eau si belle »… à la bactérie paracoccus denitrificans, vous intervenez sur la synthèse de sa nitrate réductase.

Pedro Ferrandiz en s’appuyant sur ses travaux, aurait obtenu une meilleure croissance et une belle couleur (bleu-vert), avec augmentation de la photosynthèse attestée par la production d’oxygène chez l’anabena (une cyanobactérie).

En collaboration avec les Japonais, il aurait obtenu une stimulation épigénétique de la chalcone isomérase, induisant une plus forte coloration des pommes (1992).

En offrant à saccharomyces cerevisae une musique qui stimule l’alcool déshydrogénase, le pain lève mieux et a meilleur goût.

Nous voilà bien loin du cri de la mandragore qui rend fou quand on l’arrache ! Bien que…

Rie Takahashi, pianiste et microbiologiste de l’université de San Diego, a musicalisé les protéines avec un collègue, Jeffrey Miller. Il semble bien que la génodique appliquée à des écosystèmes soit en marche si l’on en croit « New Scientist » et les quelques publications ou brevets parus à ce jour.

— Procédé de régulation épigénétique de la biosynthèse des protéines par résonance d’échelle. Brevet n° FR9206765 (1992).

— Génodique appliqué à la guérison des écosystèmes. Joël Stemhelmer. Colloque Winogradsky (2006).

L’auteur de ce texte, à propos de la sonobotanique et des protéodies ne fait que transmettre les informations existantes et n’a aucune compétence critique pour en évaluer le bien-fondé.

Le sexe végétal
Anthropomorphisme ou phytomorphisme ?

À tout seigneur, tout honneur, le juglans comme son nom l’indique, est le gland de Jupiter (le noyer). Ce fut un arbre sacré, connu sous le nom de carya en Crète. On y sculptait des silhouettes humaines, d’où l’origine des cariatides.

En latin, le tubercule des orchidées (orchis) se nommait testiculis et les deux coques du fruit de la mercuriale étaient les testiculata. La ficaire est appelée « couillon des prêtres », « testiculus sacerdotalis » au Moyen-Âge puis « couille à l’evesque » en ancien français, à cause de ses petits tubercules ovales. Le colchique est un couillard dans le centre de la France.

Il faut faire un détour par les carpophores des champignons pour que le phallus impudicus (satyre puant) fasse son apparition. Il choque très probablement le mimosa pudica (papilionacée) qui est la sensitive.

Tout le monde connaît l’arum maculatum avec son superbe spadice encore appelé « vit de chien », « bite de Robin » ou « bite de moine » dans la Nièvre. Il est toutefois recommandé de ne pas caresser les mammillaria sans mettre des gants, ce sont des mamelles cactus. Celles du solanum mammosum, cousin de la tomate, « pomme de téton » ou « love apple » en anglais sont plus douces au toucher.

Le chenopodium vulvaria, cousin de la betterave, a une odeur féminine sus generis. À l’inverse, l’amanite vaginata (cousine de l’amanite phalloïde) se consomme avec plaisir pour les palais délicats.

Bien entendu, Linné n’a pas oublié de glisser dans les légumineuses le clitoria arborescens, à ceux qui ne craignent pas l’escalade du mont de Vénus.

Est-ce l’anthropomorphisme ou le phytomorphisme qui a conduit Marcel Proust à remplacer « faire l’amour » par « faire cattleya » ?

Et que suggère Boris Vian dans « Vercoquin et le plancton » (dédié au biologiste Jean Rostand) quand

« Dans le jardin potager, il vit la rousse qui avait arraché un poireau et s’exerçait à la brimade macédonienne. Il la héla de loin. Elle laissa retomber sa jupe, et pleine d’allant, se dirigea vers lui. » ?

La religion végétale

Le jardin, souvenir de l’Éden, avant que le Malin ne se glisse dans le fruit du malus pumila (pomme), n’était pas un lieu de plaisir puisqu’on n’avait pas le droit de toucher aux fruits que portait l’arbre de la connaissance.

Depuis que les joviaux jardiniers s’en sont saisis à la sueur de leur front, il est devenu le seul lieu où cohabitent « monnaie du pape », « bourse à Pasteur », « bâton de Jacob », « arabette » et « arbre de Judée ».

L’angélique y côtoie « cheveux de la vierge (cuscute), « souliers du Bon Dieu » (lotier corniculé), « fleur de la passion » (passiflore) et Paliurus spina-christi. Il est vrai que la « pomme du diable » (datura) ou le « navet du diable » (bryone) peuvent également y faire leur apparition.

C’est aussi là que s’épanouit le taraxacum densleoni (dent de lion ou pissenlit) qu’il faut bien apprivoiser en salade, avant de le déguster par la racine dans les cimetières, où le cyprès fait la courte échelle aux âmes des morts.

Duc Glandieu

Jovial jardinier

Notes de bas de page numériques

1 . Dans l’Antiquité, Planta en latin a d’abord désigné la plante des pieds. Plantare (planter), c’est pre sser le sol avec le pied autour de ce qui deviendra la plante.

2 . Aphrodite, mère des aphrodisiaques, par le grec ; Vénus, mère des maladies vénériennes, par le latin.

3 . Le sanglier n’était que le dieu Mars, amant jaloux d’Aphrodite.

4 . Cantatrice : voir aussi celle de Georges Perec « Démonstration expérimentale d’une organisation tomatopique chez la cantatrice » Seuil, 1991. Il s’agit là de Cancatrix sopranical.

5 . Mandragore, jusquiame et belladone sont les trois consolantes dont parle Michelet dans La Sorcière. Mélange hallucinogène utilisé à Aix-en-Provence pour endormir le bourreau et son épouse et les dévaliser.

6 . La raiponce est une campanulacée dont on a consommé la racine au Moyen-Âge. Attention, il y a la vraie raiponce et la fausse raiponce, deux plantes différentes.

7 . Forêt est d’ailleurs un mot dérivé de « forestare », interdiction prononcée par le roi Dagobert pour se protéger des braconniers et des boisilleurs qui pillaient ses bois.

Bibliographie

La langue de bois (pour une écologie du langage), n°16 d’Alliage, 1990.

La langue de bois, suivie de Nique ta botanique, L’âge d’Homme, 1996.

Une histoire naturelle de la séduction, Seuil, 2003, en Points-poche 2009.

Une histoire naturelle de la mort, L’âge d’Homme, 2005.

Une histoire naturelle du poil, Panama, 2006.

Poèmes et chansons pour éplucher les légumes, L’âge d’Homme, 2003.

États généraux du poil, éd. Ovadia, 2006.

Notes de l'auteur

À celles et ceux qui voudraient approfondir la question de la langue végétale, la raiponce6 est dans J. Bot. Soc. Bot. France 32 : 43-72 (2005). Langue parlée, langue écrite : la botanique par Lucien Baillaud.

Pour citer cet article

Claude Gudin, « Lesvégétations sous la langue », paru dans Alliage, n°64 - Mars 2009, Lesvégétations sous la langue, mis en ligne le 31 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3398.


Auteurs

Claude Gudin

Après des études d’horticulture, est devenu ingénieur-docteur en physiologie végétale. Ses recherches en biotechnologie l’ont mené de l’INRA au CEA en passant par la BP. Il est aujourd’hui conteur d’Histoires naturelles : … de la Séduction (Seuil, 2003), …de la Mort (l’Âge d’Homme, 2005), …du Poil (Panama, 2007). Depuis 2003, il est Régent de la chaire de bathybiologie spéculative du Collège de ‘pataphysique.