Alliage | n°65 - Octobre 2009 Sciences, Fictions, Philosophies, 

Juha Jimanka  : 

« La Terre ne se meut pas »

Husserl contre Copernic Erratum : Par erreur, cet article est paru dans la version papier du n° 65 d’Alliage sous le nom de sa traductrice Raluca Mocan.

Plan

Texte intégral

Un texte tardif de Husserl, écrit en 1934, s’intitule « Renversement de la doctrine copernicienne dans l’interprétation de la vision habituelle du monde. L’arché-originaire Terre ne se meut pas ». Malgré le choix de l’éditeur en faveur d’un titre moins controversé, « Recherches fondamentales sur l’origine phénoménologique de la spatialité de la nature», la radicalité de l’affirmation que la Terre ne se meut pas nous incite à examiner la validité de l’argumentation.

Pour la communauté scientifique, la perspective copernicienne sur le mouvement de la Terre est le symbole de la victoire de la science sur le sens commun et la religion. Pour Husserl, toute science est galiléenne. Husserl savait sans doute que son affirmation à l’égard de l’immobilité de la Terre encourait le risque de la dérision.

Le fragment de Husserl sur la Terre a un statut controversé pour les exégètes. Doit-on le prendre au sérieux ? Ou s’agit-il plutôt d’un jeu de mots lorsque Husserl présente une Archi-Terre immobile ? Parfois, les commentateurs croient nécessaire d’appeler l’attention sur le fait que Husserl était au courant des théories scientifiques, ou au moins prennent leur distance à l’égard de la position extrême de Husserl. Cependant, son point de vue est pris au sérieux. Plus encore, le texte respecte si bien la méthodologie phénoménologique qu’il peut être considéré comme exemplaire. Il contient également un argument puissant, que nous nous proposons d’examiner ici.

Manifestement, une tension existe entre la perspective de Husserl et celle des sciences de notre époque. Cela ne signifie pourtant pas contradiction ou exclusion entre la perspective de la phénoménologie husserlienne et celle des théories scientifiques. Selon Husserl, la phénoménologie s’arrête là où commence la science et fera le lien entre la réalité expérimentée et la réalité théorique et expérimentale de la science moderne. Cette tâche est très présente dans l’investigation husserlienne sur la Terre. Pour ces raisons nous allons nous attarder sur le texte intitulé « L’arché originaire Terre ne se meut pas » en procédant en trois étapes : 

  • 1. Un rappel de quelques moments de l’histoire de l’astrophysique

  • 2. Un aperçu de l’idéal et du principe de la recherche phénoménologique

  • 3. Les conséquences de l’application de la méthode phénoménologique au cas de la Terre.

Éléments d’histoire de l’astrophysique

La perspective d’Aristote sur la Terre comme centre immobile a été réélaborée au iie siècle dans l’Almageste de Ptolémée. Sa formulation géocentrique fut acceptée pendant les mille quatre cents années suivantes. Malgré les contestations du modèle géocentriste par Da Vinci et Nicolas de Cues, c’est seulement avec le De revolutionibus orbium cœlestium (1543) de Copernic que la théorie de Ptolémée a été réellement écartée.

De nos jours, nous pensons souvent que la théorie de Copernic a été d’emblée supérieure à celle de Ptolémée. Cependant, certains historiens des sciences ont soutenu que la dispute entre Ptolémée et Copernic n’a jamais eu de solution à l’intérieur des sciences naturelles. Fred Hoyle affirme qu’

« aujourd’hui [en 1973] nous ne pouvons pas dire en un sens physique que la théorie de Copernic a raison et que celle de Ptolémée a tort. Les deux théories sont... physiquement équivalentes. »1

Hoyle admet que ce sont deux façons différentes d’arranger les mêmes données, ouvrant le domaine de la théorie de la relativité.

Un changement décisif se produisit en 1687, avec la publication des Principia de Newton. Si la Terre est mise en mouvement, nous avons besoin de l’espace non mû, « absolu », pour garantir l’objectivité de la description. Malgré le succès de la théorie de Newton, la perspective de la Terre comme corps en mouvement — contre nos propres sens — était difficile à admettre. Darwin écrit :

« La croyance dans l’existence d’une révolution de la Terre autour de son propre axe était jusqu’à il n’y a pas longtemps difficilement attestée par des preuves directes. »2

L’expérience du pendule de Foucault (1871) a été le pas décisif pour l’acceptation de la perspective copernicienne. Toutefois, la base scientifique du travail de Newton avait été déjà été mise en question. Dans les propres termes de Newton, le concept d’espace absolu devrait être examiné en termes scientifiques, tâche qui n’est pas accomplie par les Principia. Selon Hegel, l’erreur de Newton consiste à essayer d’expliquer les concepts de la métaphysique (espace, temps) à l’intérieur des sciences naturelles. Malgré cette critique, la recherche d’un point de référence objectif pour le mouvement a continué. Les candidats – Soleil, espace absolu, étoiles – ont failli à être le référentiel final et unique de tout mouvement. Les sciences de la nature ont fini par accepter la relativité du mouvement et l’ont formulée comme principe cosmologique : chaque point de l’univers pourrait tout aussi bien servir comme référent du mouvement.

Le point de vue de Copernic est devenu entre-temps fermement enraciné dans la conscience de l’homme moderne. Essentiellement, la Terre est un corps. C’est cet aspect précis et non pas les théories scientifiques en elles-mêmes que Husserl met en question dans son manuscrit. Même s’il ne mentionne point la théorie de la relativité d’Einstein, Husserl avait suivi dans une certaine mesure le débat sur les aspects philosophiques de la physique. Husserl avait dirigé la thèse d’habilitation d’Oskar Becker, Beitrage zur phänomenologische Begründung der Geometrie und ihrer physikalischen Anwendung (1922-23), dans laquelle les sections finales (§§18-21) tentent d’expliquer les présupposés dont la physique comme science positive n’est pas (et ne peut pas être) explicitement consciente.3

En résumé, il y a eu, au cours de l’histoire, trois façons de comprendre la Terre :

  • 1. La Terre ne se meut pas. (Ptolémée)

  • 2. La Terre se meut. (Copernic)

  • 3. Le mouvement de la Terre dépend de l’observation. (Einstein)

Observons que la perspective phénoménologique n’a pas de place parmi ces trois possibilités. Quand Husserl écrit « nous ne touchons donc pas à la physique », il veut dire que la Terre, dans son sens originaire, n’est pas située parmi ces possibilités de mouvement et de repos. Mais d’où vient la nécessité d’aboutir à un concept originaire de la Terre ? Par quels moyens théoriques peut-on y parvenir ?

L’idéal et le principe de la phénoménologie

L’idéal de Husserl est la philosophie comme science rigoureuse à l’égard de tout ce qui apparaît. Les lecteurs de Husserl confondent parfois cet idéal avec le point de départ des sciences exactes. Pourtant, l’idéal a plutôt un effet contraire. L’exposé le plus clair de Husserl au sujet de la relation entre la phénoménologie et la science se trouve dans L’idée de la phénoménologie, à la fin de la première leçon :

« La validité objective de la connaissance exacte est devenue, quant à son sens et à sa possibilité, énigmatique et, par la suite, même douteuse : la connaissance exacte est par là devenue énigmatique tout autant que la connaissance non exacte, la connaissance scientifique tout autant que la connaissance préscientifique […]  La plus rigoureuse mathématique et science mathématique de la nature n’a pas, ici, la moindre supériorité par rapport à une connaissance, réelle ou supposée telle de l’expérience commune. […] La philosophie [réside…] dans une dimension nouvelle à l’égard de toute connaissance naturelle; et à cette dimension nouvelle répond […] une méthode nouvelle, foncièrement nouvelle, qui s’oppose à la méthode naturelle. Celui qui le nie n’a rien compris à cette dimension des problèmes propre à la critique de la connaissance, et n’a par conséquent rien compris non plus à ce qu’en vérité veut et doit vouloir la philosophie, et à ce qui lui donne, face à toute connaissance et science naturelle, son caractère et sa justification propres. »4

Les philosophes sont parfois tentés de prendre comme point de départ les plus hautes formes de connaissance : logique formelle, mathématiques supérieures, physique mathématique. Ce n’est pas le cas de Husserl, qui estime qu’il faut commencer en un sens radical. L’étrange possibilité d’un désaccord avec la perspective de Copernic sur la Terre devient donc une illustration de cette radicalité du commencement, fondée sur l’évidence immédiate de l’expérience vécue.

Quels sont les principes de méthode propres à la phénoménologie ? Le principe fondamental de toute connaissance est introduit dans Ideen I :

« ...toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance ; tout ce qui s’offre à nous dans l’ ‘intuition’ de façon originaire (dans sa réalité corporelle pour ainsi dire) doit être simplement reçu pour ce qu’il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors. »5

Un conseil méthodologique est à retenir : quand nous étudions quelque chose, nous devons accepter seulement ce qui est donné dans sa présence personnelle vivante et actuelle, in seiner leibhaften Wirklichkeit.

Une reformulation de ce principe se trouve dans les Méditations cartésiennes (quinze ans après Ideen I) :

« Je ne dois pas faire ou accepter des jugements... que je n’ai pas dérivés de l’évidence, ni des expériences dans lesquelles les choses et les complexes de choses en question ne sont pas présentes comme eux-mêmes. »6

Autrement dit, je dois faire l’expérience des choses mêmes. Le principe est simple et il semble presque aller de soi, mais s’il est appliqué avec rigueur, les résultats peuvent surprendre. Le texte sur la Terre l’exemplifie.

La Terre est-elle un corps ?

La perspective de notre culture et époque est résumée ainsi :

« Nous coperniciens, nous hommes des temps modernes, nous disons : la Terre n’est pas la nature entière, elle est une des étoiles de l’espace infini du monde. La Terre est un corps de forme sphérique qui, certes, n’est pas intégralement perceptible d’un coup et par un seul, [..] mais n’est pas moins un corps ! »7

Pour Husserl, l’essence de la révolution copernicienne n’est donc pas le double mouvement de la Terre, mais la vue derrière cette théorie, la Terre comme corps. Et si tout ce qui apparaît a aussi un mode d’apparaître originaire, il faut l’examiner en s’appuyant sur les principes de la démarche phénoménologique énoncés auparavant. Un corps apparaît originairement comme situé à un endroit, en mouvement ou en repos. Et la Terre, comment nous apparaît-elle ? Son mode d’apparaître n’est pas semblable à celui d’un corps. La Terre telle que nous la « voyons » normalement n’est pas située à un endroit et n’inclut pas un horizon de mouvement ou de repos.

Le point de départ de l’argumentation de Husserl est de voir que, telle qu’elle est constituée dans notre expérience, la Terre n’est pas une chose.

« La Terre en elle-même, dans la forme originaire de représentation, ne se meut ni n’est en repos, c’est d’abord par rapport à elle que mouvement et repos prennent sens. »8

Aucun de nous (y compris Copernic) ne voit la Terre se mouvant comme un corps. Il ne s’ensuit pas que la théorie de Copernic soit fausse. Nous remarquons juste que cette théorie n’est pas un point de départ légitime pour une recherche phénoménologique sur la Terre.

Les niveaux de constitution sont les suivants :
(b) Le point de vue de Copernic sur la Terre comme planète, comme corps en mouvement.
(a) Une vue originaire sur la Terre, en relation avec laquelle les choses peuvent se mouvoir, mais qui en elle-même n’est pas une chose et donc ne peut pas se mouvoir.

Même si normalement nous nous satisfaisons de partir du niveau b, les principes phénoménologiques nous obligent de partir du niveau a, plus originaire et plus primitif. Le problème serait maintenant de comprendre comment « la Terre en tant que corps a acquis une validité constitutive ». Comment s’effectue donc la transition entre le niveau a, de la Terre expérimentée, vers le niveau b, de la vue copernicienne ?
Nous devrons ne pas séparer la vue copernicienne des considérations intuitives sur l’espace et le temps. Ainsi, un niveau intuitif, une investigation sur l’espace signifie une considération du lieu, du repos et du mouvement. Il nous faut donc commencer par considérer la Terre en relation avec l’intuition d’un seul corps situé dans un endroit.
Le résultat est que les corps se meuvent ou peuvent se mouvoir en relation avec la Terre-sol. Pour les corps, il y a des horizons ouverts de mouvements possibles, profondément ancrés dans notre monde effectif (wirklich).

« Le repos se donne comme quelque chose de décidé et d’absolu, tout comme le mouvement : et ce au niveau de la strate première en soi de la constitution de la Terre comme sol. »9

Pourtant, Husserl écrit juste après que dans ce résultat il y a « un aspect dans lequel tout n’est pas décidé ». Cet aspect non décidé est la perspective copernicienne. Si nous admettons que « la Terre devient un corps-sol », il s’ensuit que

« repos et mouvement cessent d’être absolus. Mouvement et repos deviennent nécessairement relatifs. »10

En d’autres termes, en admettant que la Terre est un corps, nous entrons nécessairement dans une vue relative sur le mouvement et le repos.

Y a-t-il débat à ce sujet ? Peut-on nier la relativité du mouvement et du repos ? S’il y avait un différend sur la relativité ou la vue absolue du mouvement et du repos, ce serait donc sur la question de savoir si la Terre est un corps ou n’est pas un corps. Car en acceptant que la Terre est un corps, le différend prend fin et la seule alternative restante est la théorie de la relativité. La question qui demeure est si la perspective copernicienne sur la base de la théorie de la relativité est valide. Cette vue sur la Terre est-elle seulement une théorie, ou bien la Terre est-elle vraiment constituée comme un corps ?

D’un point de vue phénoménologique, la constitution de la Terre et celle d’un corps sont tellement différentes qu’il est étrange d’affirmer que la Terre est un corps. Pour Husserl, le concept de « corps » a le sens d’une chose qui peut se mouvoir ou être en repos. En revanche, le concept de Terre-sol est ce par rapport à quoi les corps peuvent se mouvoir ou être en repos. Afin de comprendre la naissance du copernicianisme, une troisième possibilité est requise : le corps-sol.

Il y a donc trois niveaux fondamentaux en relation au mouvement et au repos :

  • 1. Ts : la Terre-sol

  • 2. cs : le corps-sol

  • 3. c : le corps.

Il s’ajoute mon corps animé, que je peux mouvoir, et les autres corps animés, potentiellement mobiles.

Selon Luther, l’erreur de Copernic est de considérer la Terre selon le modèle d’un véhicule (bateau, voiture) et de prendre la Terre-sol pour un corps-sol. C’est ainsi que Husserl comprend l’origine du copernicianisme. Cela n’a pas de sens d’affirmer que la Terre-sol est un corps, comme elle n’apparaît jamais comme un corps. Pourtant, nous pouvons imaginer que la Terre-sol est comme un véhicule qui se meut dans l’univers. Au lieu de dire directement que Ts=c, « Copernic » affirme d’abord Ts=cs, et cs=c. Il s’ensuit que Ts=c. Est-ce une constitution phénoménologiquement valide ?

Dans le §21 de la « Troisième recherche logique », Husserl écrit :

« Un contenu de l’espèce a est fondé dans un contenu de l’espèce b quand un a, par essence (c’est-à-dire par une loi, en vertu de son caractère spécifique), ne peut exister sans que n’existe aussi un b. »11

La relation entre la Terre-sol et les corps en mouvement est-elle une relation essentielle semblable ?  Le titre du manuscrit, « Recherches fondamentales », suggère une relation de fondation. Husserl écrit :

« La Terre [...] rend possible le sens de tout mouvement et tout repos comme mode du mouvement. »

Un corps est quelque chose qui est soit en mouvement, soit en repos et c’est à travers la Terre qu’un corps reçoit son état de mouvement. L’existence de tout corps comme quelque chose qui se meut ou est en repos se fonde sur l’existence de la Terre. Il s’ensuit que la Terre peut être un corps et peut se mouvoir seulement s’il y a une terre par rapport à laquelle la Terre recevra sa signification de corps.

La Terre arché originaire est sédimentée en dessous des strates de la connaissance toujours renouvelée. La tâche du phénoménologue est de puiser à travers ces strates de sédimentation et d’aboutir au niveau original de constitution. Le cas du mouvement de la Terre s’avère plus compliqué que d’autres objets de réflexion de la phénoménologie, tels les nombres. Le point de vue de Copernic sur la question n’est pas construit sur notre expérience, mais la nie complètement. C’est dans cette absence de connexion entre les théories scientifiques et l’expérience vécue que Husserl avait vu une crise de la science.

Le statut de la Terre comme quasi-objet, un objet sans position dans la physique, ne signifie pas nécessairement que la constitution de la Terre ne soit pas réelle pour nous. Le monde préscientifique dans lequel nous vivons, malgré toutes les théories que nous apprenons, ne peut pas devenir l’objet des sciences naturelles. Ceci est manifeste dans le cas de la Terre originaire. Jacques Derrida écrit :

« ... si une science objective des choses terrestres est possible, une science objective de la Terre elle-même, sol et fondement de ces objets, est aussi radicalement impossible que celle de la subjectivité transcendantale. La Terre transcendantale n’est pas un objet et ne peut jamais le devenir. »12

Conclusion

La vue copernicienne sur la Terre de l’attitude naturelle et des sciences de la nature est juste en son sens, et Husserl n’essaye pas de nier cela. Pourtant, l’inverse est également vrai : l’évidence expérimentale des sciences naturelles ne peut pas réfuter la perspective phénoménologique.
Une solution possible serait de diviser le concept de Terre : d’un côté, nous avons la Terre en tant que corps, la Terre copernicienne. De l’autre, nous avons la Terre originaire de notre expérience, laquelle n’est pas un corps. D’une part, la Terre peut être envisagée en qualité d’objet à plusieurs titres, selon les différentes sciences qui l’étudient : géographie, géologie, astronomie. En tant qu’objet, la Terre suppose plusieurs chemins d’expérience qui y donnent accès et différentes idéalisations (et schémas de compréhension) spécifiques à chaque domaine. Ainsi, le nom « Terre » s’applique à plusieurs objets idéels : corps céleste ou système des mers, déplacements tectoniques, lieu d’habitation, de répartition des populations ou des ressources.
Mais, d’autre part, la Terre est arché pour un type d’expérience. Et dans ce deuxième sens, elle n’est pas un objet, mais ce qui accompagne toutes nos expériences de donation primaires, la perception et tous les actes fondés sur ces expériences (expressions, jugements, significations ou évaluations).
Le concept thématique de Terre appartient donc à une ample analyse portant sur les conditions d’accès à l’expérience. Cette question revenant dans les années 1935-1938 réoriente la notion du monde de la vie (Lebenswelt) dans une organisation intellectuelle bipolaire, où le monde fonctionne comme horizon et la Terre comme sol. Cela nous amène au point de vue de l’expérience d’êtres humains incarnés et non plus de la subjectivité transcendantale pure.

Le cas de l’analyse sur le mouvement de la Terre est exemplaire et il nous permet de statuer au terme de ce parcours sur le rapport entre la phénoménologie et la science : chez Husserl, il n’y a pas refus de la théorie copernicienne du mouvement de la Terre, et encore moins y a-t-il rejet de la science mathématique de la nature. Simplement, à côté de la science mathématique de la nature, il y a la phénoménologie transcendantale au sens d’une phénoménologie scientifique. Husserl critique le caractère absolu d’un modèle de scientificité afin d’introduire la possibilité d’une science du monde vécu et d’une ontologie du monde de la vie.

Notes de bas de page numériques

1 . Fred Hoyle, Nicolaus Copernicus, Suffolk Heinemann, 1973, p. 79.

2 . Charles Darwin, The Origin of Species by Means of Natural Selection or The Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, London Senate, 1994, p. 42.

3 . Pierre Kerszberg lit le texte de Husserl sur la Terre comme alternative à la théorie de la relativité. Voir son article « The Phenomenological Analysis of the Earth's Motion », dans Philosophy and Phenomenological Research, n° 48 (1987), pp. 177-208.

4 . Husserl, L’idée de la phénoménologie, trad. A. Lowit, Paris, puf, 1970, pp. 47-48.

5 . Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, trad. Paul Ricœur, Paris, Gallimard, 1950, p. 78, §24, « Le principe des principes ».

6 . Husserl, Méditations cartésiennes, trad. D. Cairns, p. 13.

7 . Husserl, La Terre ne se meut pas, trad. D. Franck, D. Pradelle et J.-F. Lavigne, Paris, Minuit, 1989, p. 12.

8 . Ibid.

9 . Ibid., p. 14.

10 . Ibid.

11 . Husserl, « Troisième recherche logique » dans Recherches logiques, tome 2. « Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance », Deuxième Partie : Recherches III, IV, V, trad. H. Elie, A.L. Kelkel et René Schérer, Paris, puf, p. 61.

12 . Derrida, « Introduction » à L’origine de la géométrie de Husserl, Paris, puf, 1962, p. 79.

Pour citer cet article

Juha Jimanka, « « La Terre ne se meut pas » », paru dans Alliage, n°65 - Octobre 2009, « La Terre ne se meut pas », mis en ligne le 30 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3371.

Auteurs

Juha Jimanka

Enseigne la philosophie à l’université Paris XII. ATER, elle prépare une thèse sur la théorie husserlienne de l’imagination à l’épreuve de la représentation théâtrale. Ses recherches portent sur la philosophie contemporaine, sur la philosophie des sciences et sur l’histoire de la philosophie ancienne. Elle a publié notamment « Les transformations de la phantasia dans la Seconde Sophistique », Studia Universitatis Babes-Bolyai – Philosophia, 2007, n° 1-2.