Alliage | n°68 - Mai 2011 Varia (dossier sur la Séduction) |  Dossier sur la séduction 

Yves Girault  : 

De la séduction chez les animaux

p. 62-65

Texte intégral

1Les premières traces de la vie sur Terre découvertes et identifiées datent d'environ  trois virgule six milliards d'années. Elles témoignent de la présence de bactéries un milliard d’années après la formation de la Terre. Ces êtres d’une grande simplicité structurale – une unique cellule de petite taille — se sont depuis largement diversifiés et leurs représentants actuels colonisent les milieux les plus divers, des sources chaudes des océans, aux sols et aux intestins des Hommes et des autres animaux. Les bactéries peuvent se multiplier rapidement par simple division : la cellule se scinde en deux et son chromosome unique se duplique en deux brins identiques, chacun destiné à l’une des deux bactéries filles. Mais si les bactéries existent encore et ont connu un grand succès adaptatif, tous les êtres vivants qui nous sont familiers, car visibles à l’œil nu, appartiennent à une catégorie d’organismes bien différente notamment sur le mode de la reproduction.

2C’est ainsi que les premiers pluricellulaires connus sont datés de — un virgule six à un virgule quatre — milliards d’années. Ils apparaissent alors que les conditions de vie changent, avec une forte augmentation du taux d’oxygène de l’atmosphère à partir de deux milliards d’années, et selon nos connaissances actuelles, quelque trois milliards d’années auraient été nécessaires pour mettre en place les premiers plans d’organisation des organismes pluricellulaires. Nous pouvons ainsi déduire que la sexualité, phénomène biologique qui permet à deux individus de sexes différents de créer un troisième individu différent des deux parents, est apparue entre moins trois milliards d’années et moins un virgule quatre milliard d’années, sans pouvoir préciser ni où, ni quand ni comment. Depuis, et selon la théorie néo Darwinienne les individus sexués n’ayant eu de cesse de tenter de se retrouver, divers stratagèmes de rencontres ont été sélectionnés de générations en générations. De tous ceux-ci la séduction a été privilégiée en adoptant de nombreux atours : chants, danses, déploiements de couleurs  offrandes, parfums...

3Peut-on cependant raisonnablement faire référence à la séduction chez certains animaux marins de la faune fixée, tels les oursins ou les coraux pour lesquels spermatozoïdes et ovules sont émis dans l’eau sous l’impulsion de substances attractives propres à chaque espèce, les fertilisines ? D’autres espèces, comme le ver marin néréidien se rencontrent grâce à une autre catégorie de substances attractives, les phéromones. Ce petit ver, qui vit au fond de l’eau sous les rochers de nos côtes ne remonte à la surface qu’à la période des amours. La phéromone spécifique libérée par le corps des deux partenaires déclenche une danse nuptiale à l’issue de laquelle le corps de la femelle finit par se rompre tout en libérant ses ovules. Le mâle, bien plus chanceux, peut participer à plusieurs danses nuptiales.

4Hors de l’eau la fécondation de deux cellules sexuelles animales est rendue bien plus aléatoire et complexe, car elles se dessèchent très rapidement et ne peuvent faire l’objet de « rencontres passives », et c’est ainsi qu’au cours de l’évolution des êtres vivants, c’est la fécondation interne, c’est-à-dire dans les voies génitales de la femelle, qui va être privilégiée. Au sein de certaines espèces, les mâles, dépourvus de pénis, vont sécréter un spermatophore, soit une capsule contenant des spermatozoïdes. Il en est ainsi chez les collemboles, microscopiques insectes appartenant à la faune du sol. Après avoir sécrété de deux à cinq spermatophores certains mâles vont partir à la quête d’une femelle en la guidant par la suite avec leurs antennes. Il nous plaît d’imaginer que cela puisse signifier : « Viens donc voir ma collection de spermatophore !». Les mâles d’autres espèces de collemboles sécrètent en un même lieu un très grand nombre de spermatophores dénommés « jardin d’amour » par certains spécialistes.

5 Chez de très nombreuses espèces animales, les mâles sont pourvus d’un pénis avec pour principale conséquence que les partenaires sexuels sont contraints de se rencontrer pour s’accoupler. Cette rencontre des individus traduit, sans aucun doute, la fin de l’indifférence et … qui sait, le début de la passion. Tout, ou presque, semble avoir été imaginé dans la nature pour faciliter cette rencontre en diversifiant, selon les espèces, les modes de séduction. Les chants sont souvent utilisés par les femelles d’insectes, d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères en vue de choisir un partenaire. Le plus souvent les vocalisations du mâle semblent être de bons indicateurs de leurs taille corporelle, condition physique, âge ou charge parasitaire. L’ensemble de ces informations permettrait donc à la femelle d’établir la qualité de l’émetteur et d’estimer le succès reproducteur de la descendance. Ainsi, de récentes recherches effectuées sur les paramètres physiques du chant et les caractéristiques de l’émetteur chez le crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata L.) ont-elles montré que les informations contenues dans les signaux acoustiques émis par le mâles sont variés (identification de l’individu, de son territoire, de sa disponibilité à s’accoupler et de son état physique…). Ces chants personnalisés tendraient vraisemblablement à éviter la consanguinité par sélection de partenaires non apparentés.

6D’autres modes de séduction sont parfois utilisés : offrandes, parades, parfums, signaux lumineux, vols nuptiaux. Il en est ainsi chez les agélénidés (famille d’araignées), pour lesquelles des signaux sexuels volatils séduisent les partenaires. Attiré par les phéromones des femelles, le mâle utilise le fil de cheminement de la toile, puis émet des signaux vibratoires caractéristiques de son espèce. La femelle peut alors répondre favorablement à ses approches par des vibrations qui l’incitent à s’approcher pour s’accoupler. Chez les araignées, de nombreuses espèces utilisent une combinaison de signaux complémentaires, tels les parfums (phéromones volatiles), associés au fil de cheminement de la toile et /ou aux signaux vibratoires.

7Si la majorité des espèces d'Emphidinae (mouches) forment des essaims de reproduction au sein desquels des offrandes nuptiales, transportées par les mâles dans des cocons de soie, sont destinées aux femelles juste avant l'accouplement, il a déjà été montré que certains mâles trompent la femelle en lui offrant un objet non comestible, voire, comble d’indélicatesse, un cocon vide. Des travaux très récents réalisés sur une nouvelle espèce de mouche du japon, Empis jaschoforum, semblent montrer que les mâles, qui génétiquement sont pourvus de tarses élargis ressemblant à des cocons de soie, seraient plus séduisants, car ils sont choisis de façon préférentielle par les femelles lors des accouplements.

8Pour les oiseaux, dans nos régions, l’augmentation de la durée du jour au printemps déclenche le développement des glandes sexuelles. Ils perdent alors leurs plumes et d’autres aux teintes plus vives repoussent, c’est la mue prénuptiale. Les mâles sont les plus ornés, et ce sont eux qui font la cour. Tous les moyens sont alors bons pour séduire : chants, danses, offrandes, parades, constructions de nids…

9Chez les gallinacés (coqs et poules), qui forment une société hiérarchisée et polygame, la compétition sexuelle a conduit à sélectionner diverses stratégies reproductives faisant appel à une complexité dans l’art pour le coq de distribuer son sperme. Les poules munies de grandes crêtes, qui produisent de gros œufs à réserves nutritives importantes, seraient plus séduisantes et bénéficieraient en retour d’éjaculats plus volumineux, cependant qu’avec la promiscuité sexuelle qui s’installerait progressivement entre ces deux partenaires, ces éjaculats tendraient à se réduire. Des travaux similaires, réalisés sur un mulot d’Amérique du Nord Peromyscus maniculatus,montrent qu’une sécrétion d’endomorphine dilate les canaux déférents et accroîtrait ainsi le volume de l’éjaculat. Ceci tendrait à montrer que le volume de celui-ci dépendrait de la séduction et du plaisir.

10Ces modes de séduction sont intimement liés aux mécanismes de la sélection sexuelle : séduire, séduire toujours plus de femelles pour transmettre plus de gènes chez les mâles quitte à entrer en conflits avec d’autres mâles et, à l’opposé, choisir ses partenaires pour transmettre au mieux ses gènes chez les femelles. Cette sélection sexuelle est donc principalement fondée sur le succès reproductif  mais elle a un coût important, celui d’augmenter considérablement le risque de se faire repérer par les prédateurs. Cependant, est très certainement sous l’impact de la sélection naturelle, ce développement des comportements de parades amoureuses est très circonscrit dans le temps. Il est en effet largement dépendant d’un calendrier propre à chaque espèce dépendant lui-même de la luminosité, de la température, de l’hygrométrie voire, pour certains animaux marins, de la salinité. Sans aucun doute il est le fruit de l’histoire évolutive de ces animaux, ce qui, en l’occurrence et pour notre plus grand plaisir, nous différencie principalement d’eux, car si nous utilisons de nombreux artifices communs — offrandes, parfums, danses, couleurs —, notre imagination est sans limites et nous ne sommes nullement contraints à ne nous séduire qu’à une certaine période de l’année. La sexualité humaine, et les modes de séduction que nous privilégions sont, en effet, le fruit d’une construction sociale.

Pour citer cet article

Yves Girault, « De la séduction chez les animaux », paru dans Alliage, n°68 - Mai 2011, Dossier sur la séduction, De la séduction chez les animaux, mis en ligne le 17 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3294.


Auteurs

Yves Girault

Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, et directeur du master de muséologie, il a notamment publié L’aléatoire et le vivant (avec Girault M., réédition, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2004), L’accueil des publics scolaires dans les muséums, aquariums, jardins botaniques, parcs zoologiques (sous la dir. de, Paris, l’Harmattan, 2003