Alliage | n°68 - Mai 2011 Varia (dossier sur la Séduction) 

Ernesto Sabato  : 

Vulgarisation

Texte intégral

 Le texte ci-dessous est extrait de son recueil Uno y el Universo (1945, nouvelle édition 1968).

Quelqu’un me demande de lui expliquer la théorie de la relativité d’Einstein. Plein d’enthousiasme, je lui parle de tenseurs et de géodésiques quadridimensionnelles.

-  Je n’ai rien compris, me dit-il abasourdi.

Je réfléchis quelques instants, puis, avec un entrain réduit, je lui fournis une explication moins théorique, avec encore quelques géodésiques, mais en faisant intervenir des aviateurs et des coups de revolver.

-  Je comprends beaucoup mieux, dit mon ami, assez content. Mais il y a encore quelque chose que je ne comprends pas : ces géodésiques, ces coordonnées ?

Déprimé, je me plonge dans une longue concentration mentale et je finis par abandonner définitivement les géodésiques et les coordonnées ; saisi d’une véritable frénésie, j’en appelle exclusivement à des aviateurs qui fument pendant qu’ils voyagent à la vitesse de la lumière, à des chefs de gare qui tirent au revolver de la main droite tandis que, de la main gauche, ils tiennent un chronomètre pour vérifier les temps, à des trains et à des cloches.

-  Là, c’est bon. Je comprends maintenant la relativité, s’exclame mon ami tout joyeux.

-  Oui, réponds-je amèrement, mais maintenant ce n’est plus la relativité…

Pour citer cet article

Ernesto Sabato, « Vulgarisation », paru dans Alliage, n°68 - Mai 2011, Vulgarisation, mis en ligne le 17 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3290.

Auteurs

Ernesto Sabato

Ernesto Sabato, le grand romancier argentin qui vient de mourir centenaire, fut physicien dans sa jeunesse. Il travaille dans les années 30 à l’Institut Curie auprès d’Irène et Frédéric Joliot-Curie, puis au Massachusetts Institute of Technology. Il abandonne la science en 1945 pour se consacrer à la littérature. Il écrit aussi nombre d’essais, dont certains consacrés à ses réflexions sur la science.

Traducteurs

Jordi Bonells